18 février 2007

L'amour de Madame Bournigaud

L'AMOUR DE MADAME BOURNIGAUD
Estelle Bournigaud, Madame Estelle Bournigaud se sent bien mal aujourd'hui! Si mal, ainsi qu'elle l'a désiré pour pouvoir mettre sa décision à éxécution...
Madame Estelle Bournigaud n'a plus envie de croire encore que son amour va revenir, elle n'a plus envie de penser qu'il va partager le café qu'elle prépare chaque matin, elle n'a plus envie de parler avec un fantôme... au point de le confondre avec le goût suave du jus de l'abricot qu'elle mord tristement une dernière fois !
Madame Bournigaud passe en revue les chemins multiformes de cet amour, le seul et l'unique, le premier de sa vie!... Un amour sans faille... Madame Bournigaud n'a jamais pris le temps d'être jalouse une seule seconde! A chacun de ses départs, elle conservait cet espoir fou... Peut-être même que son amour n'en était que plus fort! C'était des larmes d'amour qu'elle versait avec une infinie tendresse.
Madame Bournigaud regarde les bijoux qu'elle étale sur sa commode en dessinant des motifs symétriques; les bijoux que son amour lui a ramenés de ses nombreux voyages... Elle laise les éclats adamantins des pierres scintiller dans ses yeux; elle rève madame Bournigaud, elle rève qu'elle aime son amour toujours...
Mais voilà! Ses larmes sont taries, elle se sent froide, désséchée même, vidée de cette substance qui la faisait vivre et quand il était là, ce formidable gonflement de vie qui les habitait...Depuis trop longtemps maintenant il n'était revenu...

Soudain, la sonnette de l'appartement retentit comme le cri strident d'un oiseau en colère. Madame Bournigaud avance d'un pas d'automate du fond de l'appartement. Elle ne pense même plus, Madame Bournigaud, enfermée qu'elle est dans son passé perdu; plus grand'chose ne l'atteind, elle est dépossédée jusqu'au fond d'elle-même. Elle lève une main molle vers la poignée de la porte qui s'ouvre...
Sur le palier elle peine à le reconnaître... Est-ce c'est bien lui? Est-ce que ce n'est pas plutôt quelqu'un qui lui ressemble? Cet homme qui se tient devant elle à moins d'un mètre dans un accoutrement de bachi-bouzouk chic d'un souk oriental!... Elle avait oublié ses lubies excentriques... Mais son regard est là, ce regard profond et chaleureux qu'elle avait été chercher partout pendant si longtemps... Elle en avait trouvé Madame Bournigaud, de ces regards-là, des tendres, des volontaires, des caressants, des accrocheurs toujours. Ce n'était jamais le sien mais elle pouvait rêver de lui... Lui, là, devant elle... Sa vue se trouble, elle se sent soulevée du sol, enserrée soudain dans les bras puissants de son amour, à nouveau, comme dans ce rève qu'elle fait chaque soir pour atteindre les limbes d'un sommeil incertain...
Ils l'emportent dans une valse tourbillonnante; Madame Bournigaud ne touche plus terre, elle a fermé les yeux, elle ne connaît plus la verticale... Va-t-elle perdre connaissance?
Ses oreilles s'emplissent alors des sons envoûtants du chant du désert, celui qu'il lui avait rapporté de voyage. Elle se laisse choir sur le canapé du salon. Une étrange douceur l'envahie, il est là, près d'elle, contre elle, leurs corps sont siamois!... Madame Bournigaud se sent bizarre en ouvrant les yeux sur le salon, elle a le sentiment étrange d'une irréelle réalité!

L'amour de Madame Bournigaud lui parle doucement dans l'oreille, de sa voix envoûtante, cette voix qu'elle adore entre toute. Madame Bournigaud l'entend comme si cette voix venait d'un autre monde, si lointaine et si proche à la fois.
Madame Bournigaud a un sursaut! Elle sent brusquement un voile se lever presque comme une peau qui se retire le long de son corps entier.
Madame Bournigaud le voit enfin, elle le reconnaît!
- Veux-tu que je te serve un café?" Sa voix douce sort du fond de son ventre...
" D'où viens-tu aujourd'hui? Tu as l'air d'un vrai clown!
- Ah! Moi, tu me connais, ma chérie, je suis un passe-partout!"
Ses yeux noirs brillent, il articule ses lèvres d'ange comme un coeur qui s'ouvre pour battre encore et encore... Pour Madame Estelle Bournigaud!...

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