18 août 2007

MON MASQUE

"Entre nous soit dit"


SOMMAIRE:
1 - EN SIROTANT LE CAFÉ
2 - UN EFFET DE MIROIR
3 - DES ECHANGES EPISTOLAIRES
4 - JOURNAL INTIME OU BAL MASQUÉ ?
5 - ENTRE HIER ET AUJOURD'HUI...



1 - EN SIROTANT LE CAFÉ
Il remonte le chemin qui conduit à la cité universitaire, le copain Max!
Le sentier serpente de la pinède vers le maquis, entre les arbousiers et les fleurs odorantes d'un printemps tiède. Caresses de l'air, éclosions dans les nids, chants des oiseaux et dans le coeur de Max, un grand bonheur... qui gonfle... comme une pulsion de vie en train de naître!
Max a l'impression de porter quelque chose de précieux qu'on lui aurait confié, rien que pour lui: une petite pulsion de vie qui est en train de grossir en lui avec une telle détermination!... Qu'allait-elle devenir? Déborder, exploser, se liquéfier? Que sais-je encore? Mais Max est trop heureux de vivre ce qu'il croit être... le bonheur!
Le printemps est ici plus merveilleux que jamais: oubliées les longues journées maussades de l'hiver, période d'études assidues! La moisson se fait à ce moment-là: toutes ces heures de cours suivis avec cette curiosité pleine de surprises: découvertes de mondes multiples que chaque enseignant s'applique à alimenter personnellement à l'aide de sa fougue intellectuelle!... Un bonheur comme ça, il l'espérait de plus en plus. Il savait obscurément que les livres de toutes les bibliographies proposées allaient en structurer la conception. En travaillant tout au long de l'hiver, il préparait son avenir!
Quelques demi-heures avant, Max avait siroté le café avec les autres, les copains habituels qui suivaient les mêmes cours que lui. En écoutant le prof, il les regardait eux aussi écouter les mêmes déclarations, les mêmes raisonnements, les mêmes affirmations. Il aimait voir comment leurs visages reflétaient ce qu'il entendait, comment ils incarnaient l'intelligence même des discours du prof. Ainsi, cette intelligence devenait commune, elle se partageait entre tous et contribuait à les relier dans un même cocon.
Celui-là qui remonte le chemin, c'est moi, Max!
C'était il y a bien longtemps déjà!

2 - UN EFFET DE MIROIR
La végétation semble aujourd'hui avoir gonflé à son tour à la limite de la démesure!... Sur le parking, les racines des pins parasol ont soulevé le macadam et les ramures forment un plafond compact. Le maquis m'enveloppe dans l'étonnement d'un frisson. Mes pas me portent comme dans un rève... J'ai soudain trente ans de moins, trente ans plus tard! Le temps s'étire dans une contraction annulant la stabilité du lieu où je remonte le même chemin. Ici, à droite de la cafétéria, je me retourne pour voir le petit pré triangulaire où le printemps avait fleuri. Il apparaît à travers le filtre de mes souvenirs émus, dans la réalité du rève éveillé: on apportait nos tasses de café et avec prudence, on les posait entre deux touffes d'herbe au milieu des fleurs... Nos discussions étaient douces, chaque parole était celle d'un ange qui passe! Ou bien, au coin du bâtiment, entre les deux escaliers, là où le soleil d'hiver nous dardait de tous ses feux, adossés au muret, les paroles étaient plus toniques. J'y avais procédé à de nombreuses séances de portraits photographiques. Les rires s'y étaient dessinés, la malice se lit encore dans les yeux, les chevelures jouaient de reflets multiples. Tous les jours, ces lieux attendaient notre complicité!
Le rève était-il déjà un rève? La réalité d'alors s'est-elle transformée en mythe? Comment le bonheur qui nous enveloppait a-t-il ensuite soutenu nos vies et comment les masques ainsi élaborés ont-ils abandonné nos visages?
A cette époque-là, dans ce cocon-là, nous étions peut-être déjà trop loin d'une réalité simple. De quelle réalité se serait-il agi si nous nous en étions rapprochés? Nos existences estudiantines étaient certes, des temps de vie privilégiés pendant lesquels il était possible de se déguiser pour un moment en elfe de légende ou en éphèbe de la mythologie ou encore en ange musicien... Mais tout cela ne nous faisait pas perdre de vue les scénarios masqués que la vie ne manquerait pas de nous préparer! Devenir un personnage de fiction, hors du temps et des contraintes du quotidien, faire de cette période le rève qui perdurerait dans l'imaginaire comme un âge d'or possible, c'était transformer ces moments en une représentation d'un idéal à vivre... Qu'en reste-t-il aujourd'hui, trente ans plus tard, de ces beaux visages que j'avais tant appréciés? Que sont devenus les sourires des amis et l'éclat adamantin de leurs regards? Sous le masque de la jeunesse, que se cache-t-il que j'aurais oublié de lire? Et moi-même, une fois le carnaval fini, ai-je vraiment tombé le masque?

3 - DES ECHANGES EPISTOLAIRES
Lorsque j'avais quinze ans, ma soeur aînée était décédée depuis quatre ans.
Les échanges épistolaires que j'avais eus ensuite avec ma cousine étaient plutôt passionnés de mon côté et protecteurs du sien. Le besoin fou que j'avais de communiquer trouvait là une ouverture admirable... Il y a des jours où tous les gens sont beaux, à travers ses lettres tous les gens étaient beaux tous les jours! Je ne sais plus qui arrêta d'écrire le premier, je peux supposer que c'est moi au moment où l'écriture de mes carnets intimes se fit pleine, c'est-à-dire quand cette écriture eut le pouvoir de se suffire à elle-même. Je me souviens cependant que ces lettres ne constituaient pas un but en soi. Je n'écrivais pas pour écrire, j'écrivais dans l'espoir de vivre un jour...Je savais qu'un jour, je vivrai avec des personnes que j'aimerai et que j'aimais déjà sans même les connaître!
C'est avec le docteur S que je racontais mes aventures cavalières. C'était venu tout naturellement! Ma mère avait dû lui faire part de ma nouvelle activité. Suite au deuil du frère, cet engoûment leur paraissait sans doute comme un beau signe de vie qui irait probablement masquer la morbidité de l'évènement!
Il a dû se passer qu'un beau jour, elle me proposa de commencer un échange épistolaire au sujet des expériences cavalières. Le docteur S avait été cavalier dans sa jeunesse et probablement un cavalier passionné. Le docteur prit donc le masque protecteur du correspondant fidèle. Ainsi, j'écrivais les déboires multiples et variés que le piéton seul ne peut imaginer. Le genre équidé devenait alors peu à peu le centre de mon existence. En dehors du travail scolaire sur lequel j'avais du mal à me concentrer, le genre « cheval » occupait ma vision comme un masque existentiel. Si j'acceptais de vivre dans le béton tous les jours, dans les étages d'un immeuble chaque matin et chaque soir, dans les carlingues métalliques des autobus et des voitures, parfois et toutes mes journées ou presque dans un immeuble plus ou moins haussmanien, c'était seulement pour préparer l'avenir! Dans la moindre touffe d'herbe et dans l'ombre pommelée des feuillus, j'entrevoyais des univers de chevaux en liberté galoppant dans des prairies toujours vertes... Dans mes échanges avec le docteur, j'avais déjà, et de loin, la précision d'analyse du futur éthologue que je décidais par la suite de devenir. Le masque professionnel que j'allai porter beaucoup plus tard se dessinait déjà entre les lignes. Le soutien du docteur construisait mon écriture semaine après semaine. C'est dans ces descriptions minutieuses que j'appris à construire les phrases pour me faire comprendre: quand il me répondait, je savais qu'il avait lui aussi vécu l'expérience décryptée par ma prose. Un jour, il ne répondit plus, le masque était bel et bien tombé, très loin de chez moi, là-bas où il m'avait fait naître, de l'autre côté de la Méditerranée..
N'ai-je pas ainsi passé ma vie à construire des rèves pour masquer la réalité? N'ai-je pas toujours et encore cette impression de volontairement faire glisser le réel dans une fiction fantasmée, tout juste bonne à étayer les soucis du quotidien?
Aujourd'hui les arbres de Judée en fleurs sont encore des arbres de Judée en fleurs à chaque printemps pour tout ceux qui les regardent. Aujourd'hui le masque s'est imprimé à l'envers, non point pour un avenir mythique mais pour regarder le passé redevenu présent!... Deux petits trous pour les yeux et le reste du visage prêt à entreprendre une nouvelle vie... De bonheur, je sais qu'il existe et pas seulement au printemps, de bonheur, je veux porter ce masque si éloquant, tout Max que je suis!

4 - JOURNAL INTIME OU BAL MASQUÉ ?
Aujourd'hui, vais-je poser le masque à l'envers ou à l'endroit sur la table à côté de moi?
Le soleil innonde la véranda. Je suis revenu au point de départ: le béton, l'étage des immeubles, les carlingues métalliques... Le masque est posé maintenant. Je me suis servi une tasse de café pour réveiller mon corps fatigué. Les pages du carnet racontent cette aventure... Chaque jour je viens là, à côté du masque que j'observe. Je passe de nombreuses heures à trouver les mots de cette histoire!... Un bal masqué peut-être!..
Non! Il n'y a pas eu de désastre ou plutôt si, mais ce n'est pas un “si” simple!
Les prairies ont effectivement trouvé les galops des chevaux et les printemps ont continué à se succéder mais pour dire vrai, là encore il s'agissait bien d'un masque! Même les animaux peuvent en porter... ou bien, disons qu'on est tout à fait capable de leur en faire porter un! Dans le carnet, j'ai découvert, au fil de l'écriture que les chevaux l'avaient et le portent encore pour moi! N'y a-t-il pas seulement deux jours, j'ai été réveillé par un message m'annonçant, très personnellement qu'une pouliche était née? Mon corps brisé n'a-t-il pas alors sauté de joie comme par le passé? Pendant ce court instant n'ai-je point fait tomber le masque de toute l'anxiété accumulée?
En décidant de revêtir l'habit du cavalier (et non l'habit du moine!), je choisissais ce masque de panaplie comme étant le plus propice pour compenser le reste de l'existence. La bonne affaire que voilà! Confiant le masque aux chevaux, je me permettais de croire que je n'en portais plus. C'était sans compter qu'un masque peut souvent en cacher beaucoup d'autres, tout comme les pelures d'un oignon se superposent en fines couches successives sur sa chair!
Dans le miroir installé devant moi, sur la table, que vois-je sinon encore un masque de chair et d'os qui me regarde?... Exactement regardé par d'autres que moi, avec une tasse de café qui peut avoir justement pour effet de faire tomber le masque! De masque en masque, à chaque printemps, recommencé-je ainsi à me remémorer le printemps précédent quand je portais le masque d'avant!

5 - ENTRE HIER ET AUJOURD'HUI...
Je remonte le chemin qui conduit à la cité universitaire. Dans la pinède, je retrouve le masque à travers lequel la petite pulsion avait grandi. Je la sens à nouveau me soulever du sol avec ce vieux masque soudain plaqué sur mon visage! Le parfum des arbres de Judée embaume mes narines, je ne me reconnais plus... Entre aujourd'hui et le passé, un grand blanc se rétracte brusquement: les deux périodes semblent vouloir se superposer! L'ajustage est difficile, ça dérape, l'air vibre dans mes oreilles... Dans un ultime effort, je m'enfonce enfin dans le passé avec volupté! Rien n'a changé mais tout semble différent pourtant!... Simple affaire de décor ou plus simplement de masque?...
Ce que tu es devenue aujourd'hui, petite pulsion dévorante, je le sais maintenant: rien de plus qu'un nouveau déguisement!... Combien de fois ai-je été dupe? Je ne reviendrai pas étudier ici pendant les longues journées maussades de l'hiver! L'avenir tant espéré est déjà passé, de bonheur on ne s'est pas contenté! On en a bu et à satiété, comme à une fontaine sans fond ou l'eau n'a cessé de couler. Il n'y a plus qu'une rangée d'arbres dans le pré. Ils n'ont pas poussé masqués mais il n'y a plus personne pour boire le café sur la prairie ensoleillée.
De toute façon, les profs ont tous changé, c'est moi entre autres qui les ai remplacés. D'un autre endroit je me suis posté, celui où j'allais aussi pouvoir aller dans le pré des chevaux qui ont galoppé. Mais aujourd'hui, je ne sais plus si le réel est encore à ma portée! Comment puis-je me comporter non masqué?...
Combien de fois depuis le faux-vrai désastre, ai-je senti peser sur mon épaule brisée, la pression infernale et quotidienne de la mendicité? Dans la rue, vers là où je suis parti habiter, ils marchaient par petits paquets, tranquilles malgré le vent gris. J'étais là moi aussi à marcher parmi eux, parmi nous... Nous étions accompagnés par les écrans- masques des façades des rues avec, chacun, son masque plus ou moins délabré... Le temps était venu de rendre des comptes: la fin de la pièce était arrivée et pour saluer, il faut enlever son masque! Nous n'étions pas tous prêts, loin s'en faut! Dans ce genre de pièce, souvent dramatique, il faut savoir improviser en se gardant des coups distribués à la volée...
Mais au fait, puisque vous êtes là aujourd'hui, si vous voulez, je peux vous présenter le nouveau masque que j'ai inventé pour adopter ma nouvelle personnalité. Créatif et inventeur, je me suis réinventé avec pleins d'autres qualités! Bien sûr, je n'ai pas fait ça tout seul, j'en ai trouvé d'autres qui avaient la même idée! En plus on s'est mis pleins de couleurs, on ne s'est pas gêné! Y'en a même qu'avait des plumes de poulets... Alors j'ai préféré m'en aller! On est certainement moins intelligents puisque des masques sont tombés mais on peut dire que celui-ci est plus léger à porter! Tant de pataquès pour s'assumer, est-ce vraiment nécessaire en effet? Mais, à l'heure qu'il est, de masque, assurément on ne peut pas se passer!

Extraits de “Lorsque Max raconte ses masques”
ou comment se déplacer masqué en bonne société...

écrit par Jacqueline Machard le 15 mai 2007.

"La principale cause du malheur de l'individu est la sottise
qui le pousse à placer son bonheur non dans ce qu'il est mais dans ce qu'il représente,
c'est-à-dire en définitive dans le cerveau d'autrui."
Georges Palante "L'individualisme aristocratique"

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Good words.