26 janvier 2009



DES RATS ÉCRASÉS
Elle est vraiment énervée!
Dans son intérieur-corps, elle bouillone. À la périphérie, ça se précipite, ça se bouscule... des gestes précipités, de la boulimie. Elle ne contrôle plus. Elle ne vit plus... Elle enrage! Alors elle écrit... Elle entre dans le rythme des mots qui régule le flot, qui scande le volume, qui compte les vagues... Elle écrit... elle écrit seule et elle peut lire seule, écouter avec ses oreilles, être elle-même l'alter-ego de l'atelier. C'est son atelier, sa petite boîte, son petit carnet... et elle écrit... Elle écrit la désespérante violence qu'elle vient de vivre. Ça lui vibre encore dans les organes... L'angoisse, dira-t-on! Et alors? Angoisse ou un autre mot, ça change rien, c'est la violence... Comment a-t-elle pu tomber et se noyer elle-même dans ce trou de l'enfer? La flaque de soleil peut-elle ranger à sa place tout ce surplus, tout ce vrac d'énergie éparpillée, gâchée? Remettre au ras de la peau cette fureur rentrée... C'est même pas beau! C'est même pas un semblant de goût d'agréable! Y'a rien à en tirer. Ça l'énerve! Elle a envie de tout jeter en l'air, à la volée, de se débarrasser de ces débordements, qu'ils soient emportés très loin par le vent fou! Que tout ce qui lui arrive soit aussi emporté... Qu'un grand nettoyage soit fait partout, dedans et dehors, qu'il ne reste rien que l'enveloppe, la chair... C'est quoi ce grand cirque de la vie qui vient ainsi la harceler, s'acharner impunément sur elle? Elle le sent bien que ça monte en elle, que c'est prêt à déborder, qu'il va arriver un malheur. Elle sait déjà qu'on va l'accuser, on l'accuse déjà. Ça se répand par delà les rues, les immeubles. Déjà, des échos en sont revenus. Déjà, ça tourne mal. Elle sait déjà que la situation va pourrir, qu'elle va en être profondément blessée, humiliée, qu'il va falloir ramper par terre devant tout le monde pour bien montrer la plaie et son degré d'aggravation... pour seulement que le monde accepte de voir l'indécence de sa situation. Alors seulement, à l'issue de longs mois de cette usure féroce, il deviendra possible d'obtenir une solution qui permette d'entrouvrir une porte de sortie, genre de porte dérobée... Invisible à l'œil nu. Elle va être tirée vers cette porte comme un vieux tas de chiffons, traînée au sol avec dégoût, glissée difficilement à travers la mince ouverture de cette porte qu'on n'ouvre jamais. Elle va s'accrocher aux encoignures, résister à la pression par léthargie. Ils auront de la difficulté à faire passer l'ensemble des protubérances de ce cancer galoppant sur place. Au dernier effort, une ultime aggravation va encore retarder l'opération. Le personnel de service affecté à cette tâche incongrue se verra contaminé par un mal abscon, placé dans l'obligation d'un arrêt de travail injustifié mais innévitable...
Dehors la pluie. Le crachin des plus mauvais jours. La saleté des caniveaux à la fin d'un week-end prolongé qui attend nonchalament d'hypothétiques bennes à déchets. Des traces de graisse, de crachats, de vomis. Des estrons de chien, des cadavres de rats écrasés... Ramper là-dedans jusqu'à la marche d'un trottoir défoncé, basculer sur son pivot, tomber les jambes au niveau inférieur, redresser la posture en branlant au chant du Samu qui passe en trombe vers un ailleurs de l'enfer.
Déjà, cela! Tout ce chemin de torture pour être là, dans ce cloaque... Un marasme gangrénant qui a soudain tout innondé. Les prairies ont disparues là-dessous, les jolies fenêtres avec les beaux fruits du jardin qui terminent leur mûrissement... Plus rien, tout a disparu comme si ça n'avait jamais existé. Comme si elle sortait d'un rêve... Comme si elle avait porté des lunettes transformantes. Elle tourne ses yeux rouges, des globes vitreux vers l'écran opaque du sordide... Elle est dans le plus jamais... Le plus jamais de l'oxygène purifié des alpages, le plus jamais de la tiédeur des rayons solaires, le plus jamais du calme plat d'une mer d'huile... Ou bien, si, par un hasard extraordinaire, elle pouvait accéder à ça, ne serait-ce que par bribes... ce ne serait que mirage ou hallucinations! C'est cela le mal abscon, le processus inévitable, la gangrène de l'existence du bouc émissaire... Afin que les autres puissent encore croire à leur santé, à leur bien-être, à leur idée du bonheur... Va! Elle leur donne volontiers sa part!
Quel enfantillage! Ce n'est qu'une sucette! Pendant un temps, le goût du sucre cache le reste, ni plus vrai, ni plus faux que la misère, simplement une détermination à préférer le sucré ou la misère au reste!...
Un mot, une sensation, des états d'être, au choix!

2 commentaires:

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